Carte blanche – #Agissons ! Les jeunes aussi ! publié sur le site de la CLJB
En 2015, le groupe Altman Weil[1] a réalisé aux Etats-Unis une étude sur la transformation des cabinets d’avocat. Il ressort de cette étude que 47% des avocats interrogés considèrent qu’il leur serait possible d’ici 10 à 15 ans de remplacer leur personnel « paralegal » par des solutions d’intelligence artificielle. 35% pensent que les postes de juriste junior pourront être intégralement supprimés dans le même laps de temps, soit une augmentation de 10 points en l’espace d’un an.
Ce constat n’est pas propre aux Etats-Unis. Il est également transposable en Europe car de plus en plus de solutions numériques s’y importent.
Depuis plusieurs années, on voit fleurir des services juridiques en ligne fournis par des entreprises utilisant la technologie pour diminuer leurs coûts, les legal-tech. Ces nouveaux acteurs ont trouvé un moyen de satisfaire une demande des consommateurs de droit là où les avocats ont partiellement échoué. De plus en plus de justiciables se détournent de l’avocat pour différentes raisons au premier rang desquelles figure le prix. La démocratisation des services juridiques par l’intermédiaire de ces legal-tech va permettre à certains justiciables d’obtenir un accès aux services juridiques à moindre coût.
Il faut donc bien se rendre compte que les nouvelles technologies vont changer le comportement des justiciables et, partant, notre profession.
En Belgique, Avocats.be a réfléchi à cette transformation lors du Congrès biennal du 29 mai 2015. Une réflexion sur l’ « intégration dans notre pratique des bouleversements technologiques » a été entamée. Des propositions ont été faites[2] et sont axées sur quatre points (déontologie, formation, données et financement).
Plus récemment, en juin 2016, un protocole de collaboration[3] a également été signé par les différents acteurs de la Justice en vue de collaborer à l’informatisation de celle-ci. D’autres grands bouleversements nous sont annoncés.
Cette transformation comporte, à bien des égards, des allures de révolution. Avocats.be ne s’en cache pas puisque ce terme est expressément utilisé dans sa correspondance réservée aux cartes professionnelles électroniques.
J’ai participé à différentes séances d’informations sur le sujet en 2016. Lors de ces évènements, j’ai eu le sentiment que cet « électrochoc numérique », pour reprendre l’expression consacrée, a été lancé en réaction à l’arrivée des nouveaux acteurs sur le marché des services juridiques, et non de façon proactive.
A cet égard, le message actuellement diffusé par nos responsables est simple : le train du numérique est là, montons dedans avant qu’il ne parte !
On tente donc de rattraper notre retard et nous sommes invités à (nous) investir dans le numérique car d’autres acteurs ont déjà franchi le pas.
En 2006, David MAISTER[4] écrivait :
« Les avocats sont généralement différents. Lorsqu’une nouvelle idée est présentée pour leur cabinet, la première chose qu’il demande est : « Quel autre cabinet fait cela ? » A moins que cette idée ait été mise en œuvre par d’autres cabinets d’avocat, les avocats sont sceptiques face à l’application de cette idée dans leur domaine. Si tout le monde rencontre ce problème, pensent-ils, c’est que les choses ne sont pas si graves. Tant que nous ne sommes pas dans une situation pire que les autres, nous n’avons pas de raison de changer ! Ce n’est guère la recette d’une stratégie avantageuse. ».
Il faut bien admettre que, 11 années plus tard, cet extrait est assez savoureux. Toutefois, cessons d’attendre d’être dans une situation pire que les autres pour agir : Osons ! Innovons !
Toutefois, j’estime que cette innovation ne doit pas être que technologique, elle doit également être idéologique voire déontologique. Les nouveaux outils qui vont être mis à notre disposition vont modifier nos façons de travailler et il faudra repenser notre modèle économique.
Dans son livre blanc, Bernard LAMON[5] écrivait : « Quel particulier (sinon fortuné) choisira, pour une question simple, le rendez-vous chez un avocat (dont il ne connaît pas le prix en général) à une date éloignée plutôt qu’un appel sur une plate-forme téléphonique disponible de 8h à 20h, 6 jours/7? J’entends les grincheux : oui, mais la qualité n’est pas là. A eux d’en faire la preuve. Ils n’y parviendront pas. »
En février 2016, le barreau du Québec a publié un rapport[6] de 84 pages sur la question des honoraires et conclut en ces termes :
« Ce qu’il importe de retenir, c’est que cette tendance des substituts aux services juridiques va continuer de s’implanter dans l’industrie et, même si les exemples donnés reflètent davantage pour l’instant la réalité d’ailleurs, le Québec n’y échappera pas. Le milieu juridique va sortir gagnant en adoptant des stratégies de modulation de l’offre plutôt que des stratégies d’affrontement. Le taux horaire ne va pas disparaître, mais il devra être utilisé pour tarifer un service dans certaines situations seulement et non plus être la base du modèle d’affaires. »
A l’instar du Québec, la Belgique et le Barreau de Liège n’y échapperont pas !
Ces deux extraits doivent nous rendre conscients de la nécessité d’évoluer et de modifier nos façons de penser. Il est urgent de repenser notamment notre modèle de tarification et les nouvelles technologies nous y aideront.
Loin de moi l’idée de révolutionner la profession mais je pense qu’il est nécessaire de prolonger les réflexions entamées sur l’avenir de notre profession, .
L’initiative prise lors du Congrès de mai 2015 doit être relancée. Chacun d’entre nous doit s’intéresser à ce sujet car il influencera notre façon de travailler dans le futur.
Nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère.
En tant que jeunes avocats, nous devons nous intéresser à ces changements. Il est certain que nous n’exercerons plus de la même manière dans 10 ans, voire 5 ans. C’est pourquoi nous devons prendre part à la réflexion.
Comment ? Tout d’abord, en prenant conscience des enjeux et en réfléchissant à ces nouveaux défis, en proposant de nouvelles méthodes et de nouvelles manières de fournir nos services ensuite.
N’attendons plus que X ou Y innove pour penser à le faire ! Participons ensemble à la redéfinition de nos méthodes de travail et de l’organisation de notre profession.
Florian Ernotte – Avocat au Barreau de Liège
[1]http://www.altmanweil.com/dir_docs/resource/1c789ef2-5cff-463a-863a-2248d23882a7_document.pdf
[2]http://agissons.avocats.be/lavocat-augmente/
[3]http://justice.belgium.be/sites/default/files/protocole_daccord_0.pdf
[4] David Maister, « Are law firms manageable », The American Lawyer, avril 2006, http://davidmaister.com/articles/are-law-firms-manageable
[5] Bernard LAMON, « Services juridiques : Innover pour survivre au « nouveau maintenant » ».
[6] http://www.barreau.qc.ca/fr/publications/avocats/tarification/index.html
[7] http://www.justice.gouv.fr/art_pix/rap_com_darrois_20090408.pdf
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