La digitalisation? Un outil formidable pour les avocats

Retrouvez ci-dessous le compte-rendu que j’ai rédigé avec Maître Victoria RENSON à propos des impacts de la digitalisation sur la profession de l’avocat et de la justice.

INTRODUCTION

A l’occasion de la journée européenne de l’Avocat, le Barreau de Verviers a organisé une après-midi de réflexion sur le prestigieux circuit automobile de Spa-Francorchamps le 25 octobre 2017.

Cet évènement se déroulait sous la forme d’un mini-colloque portant sur le thème de la justice numérique.

Différents intervenants de qualité devaient se partager l’après-midi pour présenter la justice numérique et son évolution sous l’angle de leurs compétences.

Un débat était ensuite animé par un journaliste de l’hebdomadaire Trends Tendances, Monsieur Gilles QUOISTIAUX.

Monsieur le Bâtonnier, Pierre HENRY, a commencé par un discours dans lequel il soulignait qu’il est essentiel de garantir les compétences de l’Avocat à travers les nouveaux outils numériques.

Selon Monsieur le Bâtonnier, les nouvelles technologies représentent une opportunité formidable pour les avocats.

En effet, ces derniers sont les seuls, au contraire des legaltech (entre autres) à pouvoir garantir leur indépendance ainsi que le respect de la déontologie.

Il s’agira donc pour les avocats d’inventer, ensemble, une nouvelle manière de donner accès à la justice en utilisant les nouvelles technologies tout en s’assurant du respect de la vie privée, de la protection des données, ainsi que de la transparence des honoraires.

Il termina son discours par ce « slogan choc » : « Pour la démocratie et contre l’algorithmocratie ».

Monsieur le Président d’AVOCATS.BE, Maître Jean-Pierre BUYLE, a ensuite pris la parole pour nous rappeler que les éléments essentiels de notre profession sont l’humain ainsi que l’écoute que l’Avocat doit avoir à son égard. Selon lui, ces compétences permettront aux avocats d’assurer, à long terme, une réelle plus-value face à l’émergence de la numérisation.

Selon Maître BUYLE, notre principal adversaire actuel c’est Google, puisque la majorité des clients, avant-même de consulter un avocat, consultent ce moteur de recherches et arrivent dans le cabinet avec des propositions de réponses et/ou solutions.

L’Avocat doit donc, par le biais des nouvelles technologies, augmenter le temps qu’il pourra consacrer à ses clients pour l’écoute et la stratégie qu’il mettra en œuvre dans le dossier.

Enfin, Melchior WATHELET Junior, clôtura les discours introductifs en sa qualité de Directeur Général du Circuit Spa-Francorchamps.

Monsieur Melchior WATHELET Junior a rappelé que :

  • UBER est la plus grande compagnie de taxis au monde qui ne dispose d’aucun taxi,
  • AIRBNB la plus grande société de fournitures de logement qui ne dispose pas de la moindre chambre d’hôtel,
  • FACEBOOK la plus grande société de contenu qui ne créé aucun contenu,
  • INSTAGRAM la plus grande société, en valeur boursière, de photos qui n’a jamais créé le moindre appareil photographique ;
  • ALIBABA le plus grand commerçant du monde qui ne dispose d’aucun stock…

C’est face à ces grands noms de l’économie digitale que Melchior WATHELET Junior a conclu son exposé en indiquant que, tout le monde sait que le digital va arriver dans nos vies, ou qu’il est déjà présent et qu’il faut dès lors faire le choix de subir cette émergence ou de la saisir comme réelle opportunité pour en faire une force.

LE COLLOQUE

Après ces trois discours introductifs, les intervenants ont débuté leurs présentations.

C’est Monsieur David FREDRICH, consultant pour le groupe LARCIER, qui a débuté en nous présentant le programme d’intelligence artificielle qu’il a mis au point en collaboration avec le Barreau de Verviers.

Cet exposé nous a permis de comprendre ce que l’intelligence artificielle pouvait apporter à l’avocat notamment dans la recherche de données juridiques.

Après quelques précisions techniques, Monsieur FREDRICH a insisté sur l’objectif du logiciel qui est avant tout de supporter l’activité de connaissances pour aider l’avocat dans son travail puisque ce type d’application est une solution d’aide à la décision.

Cette application est, en effet, un véritable assistant personnel de l’avocat qui permettra de construire une argumentation juridique au travers des données de la jurisprudence en un temps réduit, afin de permettre à l’avocat de pouvoir se recentrer sur l’essentiel, à savoir l’écoute du client.

Selon Monsieur FREDRICH c’est ce genre d’outils, mis à disposition des avocats, qui leur permettra de changer la donne.

Ensuite, Monsieur Dan KOHN, directeur de la prospective numérique qui travaille pour SECIB a pris le micro. Il a débuté son intervention en s’excusant à l’avance du ton qu’il emploierait dans le cadre de son intervention, celle-ci pouvant en bousculer certains.

Après cette précision, Monsieur Dan KOHN s’est attelé à nous exposer le concept de confiance numérique de l’avocat.

Il a tenté de convaincre les sceptiques qu’une grande partie des futurs clients passeront systématiquement par internet pour examiner les qualités de tel ou tel avocat.

Une réflexion a ensuite été lancée par rapport à la valeur ajoutée de l’avocat, si la machine ou le robot est capable de rédiger des clauses ou des contrats types.

En réponse, Monsieur KOHN considère que l’outil numérique et la technologie doivent être mis au service de l’avocat. Il ne s’agit pas d’un substitut de l’avocat, mais bien d’un complément.

Pour reprendre l’expression de Monsieur Dan KOHN, « ce n’est pas l’ampoule qui est importante, mais la lumière ». Cette métaphore doit être appliquée au domaine juridique. Il faut penser en termes de services aux clients.

Monsieur Dan KOHN termina son exposé en rappelant l’omniprésence dans la presse des articles sur l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies. Immanquablement, les clients lisent ces articles où sont confrontés à ces « gros titres » et cela va nourrir leur esprit d’une réflexion à cet égard.

Face à l’émergence de l’intelligence artificielle, il est indispensable que l’avocat se positionne rapidement sur ce marché, qu’il comprenne que ces outils ne sont pas là pour le remplacer, mais bien pour servir le client de manière plus efficace et rapide.

Il s’agit en quelque sorte plus d’une assistance artificielle plutôt que d’une intelligence artificielle.

C’était ensuite au tour de Monsieur Melchior WATHELET Senior, Ministre d’Etat, ancien Ministre de la Justice et Premier Avocat Général à la Cour de Justice de l’Union Européenne, qui est brièvement venu nous exposer la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne relative à la protection des données.

De manière très pédagogique, Monsieur Melchior WATHELET Senior a balayé la jurisprudence de la Cour de Justice en se basant sur 5 points.

  • Tout d’abord, quels droits sont visés ? Il s’agit des données personnelles et de la vie privée. Il a été rappelé qu’il faut un consentement dans le chef de la personne et qu’il faut protéger ceux-ci contre ceux qui peuvent collecter, publier ou traiter ces informations.
  • Qu’est ce qui est protégé ? Il s’agit de tout ce qui concerne la vie privée de quelqu’un. Que ce soit sa localisation, ses choix politiques, alimentaires, sexuels, … En bref, la Cour de Justice a une vision très large de ce que peuvent couvrir les notions de données à caractère personnel, d’utilisation et de traitement.
  • Ensuite il a été rappelé que toutes ces grandes affaires sont arrivées devant la Cour de Justice par le biais de la question préjudicielle posée par des justiciables, des Monsieur et Madame Tout le monde, devant des tribunaux de sorte que chacun a droit à la protection de ses données personnelles.
  • En outre, il a été rappelé que le traitement des données devait poursuivre un objectif légitime d’intérêt général et devait être proportionnée, notions qui sont assez classiques dans la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne.
Enfin, Monsieur Melchior WATHELET Senior a terminé en rappelant la relation étroite qu’il pouvait y avoir entre cette jurisprudence et la nécessaire lutte contre le terrorisme et les nécessités qu’elle imposait.

L’intervenant suivant était Maître Eric BALATE, Avocat et Administrateur d’AVOCATS.BE qui nous a également fait un bref résumé de jurisprudence.

Maître BALATE a tenté de nous démontrer que l’intelligence artificielle améliore la connaissance, mais ne pourra jamais empêcher l’humain d’être contre la loi.

Maître Eric BALATE a égrainé la jurisprudence en démontrant que la volonté humaine était toujours plus forte que la loi.

Le Professeur Nicolas PETIT a clôturé ces discussions par une vision plus économique de l’apparition des nouvelles technologies.

En effet, celui-ci rappelle que les réactions assez classiques face à l’apparition d’une nouvelle technologie sont souvent critiques, voire apocalyptiques.

Il est évidemment plus simple d’envisager la suppression des métiers existants plutôt que de prédire la création des nouveaux métiers.

Un parallèle a été fait sur ce point face à l’arrivée de l’automobile et de l’industrialisation du travail.

Une autre réaction serait que l’intelligence artificielle bénéficie à une caste spécifique de la profession et que donc une collusion pourrait se faire entre ces différents spécialistes.

Monsieur Nicolas PETIT a ensuite rappelé que toute une série d’inventions qui ont effectivement supprimé des emplois sont utilisés allègrement de nos jours sans que cela nous émoustille.

A titre d’exemple et sous forme de boutade, le Professeur PETIT a rappelé que les tailleurs de pierres pour cadran solaire ont tous perdu leur emploi dès l’apparition des montres.

Au travers de cette boutade, le Professeur PETIT voulait rappeler qu’il est dur de dire ce qui sera créé comme futur métier à l’arrivée d’une nouvelle technologie et qu’il est plus facile certes de voir ce qui disparaîtra.

Le Professeur PETIT termina son intervention en rappelant les enjeux de la transition et les enjeux de la régulation. Il est évidemment important de réfléchir à la substitution de nos compétences actuelles et il faut veiller à ne pas verser dans une interdiction de principe. Il faut prendre le temps, expérimenter et regarder où la technologie nous emmène avant de la condamner ou de la brider.

Après ces interventions qui ont chacune suscité nombre de réflexions et de critiques, un débat a été lancé sous la modération de Monsieur Gilles QUASTIAUX.

Au vu des mains levées pour demander la parole, cet après-midi a très certainement permis de confirmer que ce sujet est éminemment intéressant.

CONCLUSION

A titre personnel, nous avons pu constater que le client et l’humain étaient souvent oubliés dans la réflexion sur les nouvelles technologies.

Beaucoup d’entre nous semblent omettre que les outils qui seront mis à la disposition des avocats permettront d’améliorer le service aux clients.

Il ne faut évidemment pas voir ces outils comme un substitut de l’avocat, mais bien comme une solution complémentaire mise à sa disposition pour fournir une prestation de qualité à son client.

« Consœurs, Confrères, NIETZSCHE disait : « ce qui ne me fait pas mourir me rend plus fort » – alors … prenons la balle au bond ! ».

Pour l’Incubateur d’Avocats.be (www.incubateur.legal)

Maîtres Victoria RENSON & Florian ERNOTTE

V. Renson et F. Ernotte, « La journée européenne de l’avocat : la digitalisation ? Un outil formidable au service des avocats ! », J.T., 2017/36, n° 6706, p. 719-720.

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