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Responsabilité des dirigeants d’entreprise
Les dirigeants d’entreprises sont soumis à plusieurs obligations résultant soit des statuts soit du Code des Sociétés et Association (CSA). Une troisième source d’obligation se fonde sur le comportement du gérant qui doit correspondre à celui d’un gérant normalement prudent et diligent.
Ces trois sources d’obligations amènent un contentieux plus ou moins important devant les juridictions du pays lorsque la société en difficulté est finalement déclarée en faillite.
Dans cette situation, le curateur de la société en faillite ou un créancier peut mettre en cause la responsabilité du dirigeant de l’entreprise en se fondant sur l’une des obligations précitées.
Dans le présent article, nous examinerons une responsabilité spécifique reprise dans le CSA à savoir la procédure dite de “la sonnette d’alarme”. Cette procédure impose à l’organe d’administration/ au dirigeant d’entreprise, lorsque l’actif risque de devenir ou est devenu négatif, de réunir l’assemblée générale pour lui soumettre un rapport spécial portant sur la poursuite ou non des activités de la société.
Pour chaque type de société, une disposition similaire est prévue dans le Code des Sociétés. Nous nous attacherons uniquement à l’examen de l’article 5: 153 du CSA qui concerne la SRL. Les enseignements tirées de cette disposition sont transposables aux autres types de sociétés.
L’article 5:153 du CSA dispose donc que :
« § 1er. Lorsque l’actif net risque de devenir ou est devenu négatif, l’organe d’administration doit, sauf dispositions plus rigoureuses dans les statuts, convoquer l’assemblée générale à une réunion à tenir dans les deux mois de la date à laquelle cette situation a été constatée ou aurait dû l’être en vertu de dispositions légales ou statutaires, en vue de décider de la dissolution de la société ou de mesures annoncées dans l’ordre du jour afin d’assurer la continuité de la société.
A moins que l’organe d’administration propose la dissolution de la société conformément à l’article 5:157, il expose dans un rapport spécial les mesures qu’il propose pour assurer la continuité de la société. Ce rapport est annoncé dans l’ordre du jour. Une copie peut en être obtenue conformément à l’article 5:84.
En cas d’absence du rapport visé à l’alinéa 2 la décision de l’assemblée générale est nulle.
§ 2. Il est procédé de la même manière que celle visée au paragraphe 1er lorsque l’organe d’administration constate qu’il n’est plus certain que la société, selon les développements auxquels on peut raisonnablement s’attendre, sera en mesure de s’acquitter de ses dettes au fur et à mesure de leur échéance pendant au moins les douze mois suivants.
§ 3. Lorsque l’assemblée générale n’a pas été convoquée conformément au présent article, le dommage subi par les tiers est, sauf preuve contraire, présumé résulter de cette absence de convocation.
§ 4. Après que l’organe d’administration a rempli une première fois les obligations visées aux paragraphes 1er et 2, il n’est plus tenu de convoquer l’assemblée générale pour les mêmes motifs pendant les douze mois suivant la convocation initiale. »
1. L’actif net (les fonds propres)
Voyons tout d’abord la notion d’actif net.
Celle-ci est équivalente à la notion de fonds propre et se compose de l’actif brut moins les provisions et dettes envers les tiers. Généralement cette valeur permet d’avoir un premier indicateur de la santé d’une entreprise.
Le CSA définit la notion d’actif net comme étant le total de l’actif, déduction faite des provisions, des dettes et, sauf cas exceptionnels à mentionner et à justifier dans l’annexe aux comptes annuels, des montants non encore amortis des frais d’établissement et d’expansion et des frais de recherche et de développement.
Le capital social de la société s’entend comme le capital souscrit par les actionnaires et ne correspond donc pas au capital libéré.
A titre d’exemple, dans une SRL où le capital souscrit est de 18.550 €, la procédure de sonnette d’alarme devra être appliquée lorsque l’actif net (ou les fonds propres) est inférieur à 9.275 €.
Attention que depuis le 1er janvier 2020, la notion de capital a disparu dans la SRL
2. Le formalisme de l’article 5:153 du CSA
Lorsque l’organe d’administration constate que l’actif net risque de devenir ou est devenu négatif, un formalisme doit être respecter.
- L’organe d’administration de la société doit convoquer une assemblée générale dans les deux mois qui suit la constatation.
- Après avoir convoqué l’assemblée générale, l’organe d’administration devra justifier, dans un rapport écrit, les moyens qu’il propose pour poursuivre l’activité. L’organe d’administration peut également considérer que l’activité ne peut être maintenue et pourra proposer à l’assemblée générale de voter la dissolution de la société ou faire aveu de faillite.
Ce formalisme a une grande importance car l’article 5:153 du CSA prévoit que si l’assemblée générale n’a pas été convoquée, le dommage subi par les tiers (les dettes de la société) sont présumés résulter de cette absence de convocation par l’organe d’administration et par voie de conséquence, les dirigeants pourront être tenus responsables de ces dettes.
Dans la pratique, on remarque souvent que pour bon nombre de SRL, les convocations aux assemblées générales ne sont pas nécessairement faites par écrit. Pour les SRL unipersonnelle où l’actionnaire unique est le seul administrateur, il est quasi systématique que cette convocation ne soit pas faite par écrit puisque reviendrait à ce que l’administrateur se convoque en qualité d’actionnaire.
Par mesure de précaution, il vaut donc toujours mieux formaliser cette convocation par écrit pour se ménager une preuve pour le futur.
Par ailleurs, le CSA prévoit une disposition générale qui indique que lorsque des faits graves et concordants sont susceptibles de compromettre la continuité de l’entreprise, l’organe d’administration est tenu de délibérer sur les mesures qui devraient être prises pour assurer la continuité de l’activité économique pendant une période minimale de douze mois.
3. Le rapport spécial
Concernant le rapport spécial à rédiger, celui-ci doit contenir des mesures sérieuses qui démontrent une réflexion de l’organe d’administration. Des formules “bateau” ou des mesures complètement inappropriées pourraient aboutir à une faute de de l’organe d’administration. On pourrait en effet considérer qu’un dirigeant normalement prudent et diligent n’aura jamais proposer de telles mesures.
Malgré le respect de ce formalisme et la bonne rédaction du rapport spécial, il arrive que des tiers mettent tout de même en cause la responsabilité du dirigeant d’entreprise.
Comment réagir?
Dans un arrêt de la Cour d’Appel de Bruxelles, les magistrats ont rappelé qu’“En cas de non-respect de la procédure de sonnette d’alarme, le lien de causalité entre l’absence de convocation de l’assemblée générale et le dommage subi par les tiers est présumé.
Il s’agit d’une présomption simple que le gérant a la possibilité de renverser. La présomption est renversée s’il est établi que le dommage se serait produit même si la société avait été dissoute par l’assemblée générale qui aurait dû être convoquée, par exemple parce que ce dommage trouve son origine dans des événements antérieurs à la date à laquelle cette assemblée générale aurait dû se tenir.”
Cette précision est relativement importante.
La Cour d’appel de Bruxelles poursuit en indique que: “en instituant la présomption de lien de causalité, le législateur part du principe que si la dissolution avait été décidée suite à la constatation des pertes sociales, les tiers n’auraient pas perdu leur créance. La présomption est dès lors renversée s’il est établi que le passif se serait constitué même si la société avait été dissoute par l’assemblée générale qui aurait dû être convoquée, par exemple par la preuve que ce passif trouve son origine dans des événements antérieurs” .
En effet, lorsque l’actif net est inférieur à la moitié du capital social, cette situation est souvent révélée au moment de la préparation des comptes annuels de la société et donc les dettes de la société trouve leur origine lors de l’exercice comptable écoulée.
Dans cette situation, le dirigeant d’entreprise pourra renverser la présomption et démontrer ainsi que son éventuelle faute (absence de convocation de l’assemblée générale) n’a pas causé le dommage, soit les dettes de la société.
Certains estiment que la procédure de la sonnette d’alarme ne doit être appliquée “qu’une seule fois, lors du dépassement de chaque seuil, mais qu’il ne faut pas la répéter ensuite, par exemple lors d’une assemblée générale ultérieure, alors que la situation n’a pas changé ou même a empiré. La procédure de la sonnette d’alarme ne constitue donc pas une obligation périodique des administrateurs.” (voir Pacioli n°294, 29 mars – 11 avril 2010).
Selon moi, cette affirmation qui a été faite sous l’empire de l’ancien Code des Sociétés n’est pas exacte. En effet, si la procédure de sonnette d’alarme est respectée à l’année X et que la situation n’a pas évolué ou pire, que la situation s’est aggravée à l’année X+1, le dirigeant d’entreprise devra procéder à la rédaction d’un nouveau rapport afin de se préserver et d’éviter que sa responsabilité soit mise en cause ultérieurement.
Le nouveau CSA vient clarifier les choses en précisant que l’organe d’administration n’est plus tenu de convoquer l’assemblée générale pour les mêmes motifs pendant les douze mois suivant la convocation initiale. L’organe d’administration devra donc convoquer, au minimum chaque année, l’assemblée générale si les conditions sont remplies.
Le dirigeant pourra notamment exposer les raisons pour lesquelles les mesures proposées l’année X n’ont pas eu les effets escomptés à l’année X+1. Le dirigeant pourrait, dans ce cas, rectifier le tir en proposant de nouvelles mesures.
4. La poursuite d’une activité déficitaire
Rappelons également que la poursuite d’une activité déficitaire peut être constitutive d’une faute dans le chef d’un dirigeant d’entreprise.
La Cour d’Appel de Bruxelles, dans un arrêt du 4 décembre 2008, a précisé cette notion en indiquant que :
“Un administrateur de sociétés prudent et avisé ne peut se désintéresser des conséquences dommageables qui résulteront à coup sûr pour les créanciers de la poursuite d’une activité alors que tout espoir de redressement est perdu et que l’obstination ne peut conduire qu’à amplifier les pertes ; les conséquences dommageables d’une pareille attitude sont évidemment prévisibles. L’administrateur d’une société se doit de tirer les conclusions qui s’imposent à la lecture des bilans et de ne pas répéter les mêmes erreurs. Ce comportement a causé un préjudice certain, commun à l’ensemble des créanciers (contractuels et non contractuels) et distinct du préjudice individuel des créanciers contractuels. Ce préjudice consiste dans l’aggravation du passif résultant de la poursuite de l’activité.”
La Cour d’Appel de Mons (Mons, 20 mai 1985, R.PS., 1985, p. 282) a également confirmé cette thèse en ces termes :
« Attendu qu’un homme normalement prudent et vigilant, lorsqu’il est investi d’une fonction d’administrateur d’une société, se doit de tirer les conclusions qui s’imposent à la lecture des bilans des exercices antérieurs et de ne point répéter les mêmes erreurs ; que la faute apparaît précisément lorsqu’il devient certain que l’erreur d’appréciation initialement excusable se perpétue, se répète, s’amplifie ».
Enfin, la notion d’activité déficitaire a été consacrée dans le livre XX portant sur l’insolvabilité des entreprises à l’article XX. 227 du Code de droit économique.
Cette disposition précise dans quels cas, un dirigeant d’entreprise pourra être condamnée personnellement des dettes de la société et notamment si:
“ a) à un moment donné antérieur à la faillite, la personne concernée savait ou devait savoir qu’il n’y avait manifestement pas de perspective raisonnable pour préserver l’entreprise ou ses activités et d’éviter une faillite;
b) la personne concernée avait à ce moment l’une des qualités visées ci-dessus; et
c) la personne concernée n’a pas, au moment visé sous a), agi comme l’aurait fait un administrateur normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances.”
Il est donc vivement recommandé de rédiger un rapport spécial à chaque fois que l’actif net est ou risque de devenir négatif.
Enfin, l’obligation de convoquer l’assemblée générale pèse uniquement sur l’organe d’administrateur.
Nous pensons toutefois que le comptable de la société, normalement prudent et diligent, devra prévenir l’organe de gestion de cette situation sur la base de son devoir d’information.
La Cour d’Appel de Liège a d’ailleurs estimé que le dirigeant d’entreprise était déchargé de sa responsabilité du fait qu’il n’avait pas été conscient de la situation financière de l’entreprise, ayant confié la tenue de la comptabilité à un spécialiste en cette matière.
Cet arrêt est certes critiquable sur les principes mais démontre une certaine souplesse des juridictions. Tout autre est la question de savoir si un dirigeant d’entreprise condamné pour défaut de convocation de l’assemblée générale pourrait mettre en cause la responsabilité de son comptable.
5. Conclusion
La procédure de sonnette d’alarme revêt un certain formalisme qu’il faudra impérativement respecter. A défaut de rapport spécial, la décision de l’assemblée générale sera considérée comme nulle et par voie de conséquence, la mise en cause de la responsabilité de l’organe d’administration pourra être recherchée.
Cet article a été mis à jour le 10 mai 2020
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